L’église Sainte-Christine
Veronique Chiriacopol, dans Lux in Nocte n°10
A deux pas de Conches, en pays d’Ouche, un petit village a dédié son église à Sainte-Christine. Celle-ci, au centre de la rue principale, a été construite sur plusieurs périodes : la tour-clocher et le chevet remontent à la fin du XIIe et première moitié du XIIIe siècle.La nef date du XVIe siècle. Des remaniements ont eu lieu au XVIIIe .
En 1152, une bulle du pape Eugène III évoque déjà l’église sous le vocable de Sainte-Christine. Au milieu du XIIIe siècle, l’église est donnée à l’abbaye de Saint-Sauveur d’Evreux et en 1322, on trouve comme nom de paroisse Ferrière-Haut-Clochié, signe que déjà à l’époque le clocher était impressionnant.
Vers le commencement du XIIe siècle, Roger de Ferrières était seigneur de la paroisse de ce nom et en 1115 une donation fut faite à l’Abbaye de Conches. Au XIIIe siècle les droits furent cédés au couvent Saint Sauveur d’Evreux. A partir du XVe siècle, Ferrières eut les mêmes seigneurs que Ormes, Portes, Aulnay. A partir de 1565 Ferrières appartint à Charles II de Melun. Au fil des successions on retrouve à Ferrières Gaspard de Champagne qui mourut en 1694. Louis Gréard, avocat au parlement de Rouen la racheta.
Il la laissa à son neveu Louis Froland avocat au Parlement de Paris, qui était en 1712 Seigneur patron d’Aulnay, Ferrières et Portes. Sa fille Françoise-Nicole épouse d’Alexandre Gilbert Lambelon des Essarts en hérita et la famille la conserva jusqu’à la Révolution.
➢ La tour clocher : elle date de la fin du XIIe et la première moitié du XIIIe siècle. C’est un corps carré en pierre de taille très imposante. Son élévation est soutenue par de hauts contreforts. Il faut noter la place insolite qu’occupe cette tour dans le plan de l’église.
On édifiait très rarement au XIIIe s. des tours devant les nefs. On pénètre dans l’église par la façade de cette tour donnant sur la rue et dans ce porche carré on trouve diverses statues de saints. Au-dessus du portail se situe une étroite fenêtre et en élévation sur les côtés des fenêtres triples en arc-brisé, obstruées.
➢ La nef : elle date du XVIe s. avec des remaniements au XVIIIe et remplace une autre nef sans plus modeste et qui laissait apparaître le clocher dans toute sa grandeur. Deux rosaces obturées entre la nef et le chœur laissent d’imaginer le rehaut de la nef. Le mur gouttereau nord est percé de trois baies (l’une est à remplages) et scandé par cinq contreforts. Le mur gouttereau sud est quant à lui percé de trois baies plus larges en arcs brisés et à remplages qui alternent avec quatre contreforts. Sous la première baie se trouve une porte basse en arc surbaissé.
La façade Sud présente un cadran solaire daté de 1791.
On découvre aussi de chaque côté de la toiture, entre la nef et le chœur, deux « têtes » surmontant les contreforts. Pourquoi l’image de la Sainte s’est-elle nichée ici ?
La décoration intérieure des murs latéraux représente la vie et le martyre de Sainte Christine. Le mur ouest est également décoré de fresques de chaque côté de l’entrée avec pour thème « le Dict des trois morts et des trois vifs » Le mur opposé comporte deux autels dont la décoration peinte a disparue. Il s’agissait de deux tableaux de Descours (peintre bernayen 1707-1775) déjà en très mauvais état au XIXe siècle.
➢ Le chœur : il date de la fin du XIIe et la première moitié du XIIIe siècle et est éclairé par quatre baies vitrées et un oculus. Son chevet est plat et comporte un maître autel datant des XVIIe et XVIIIe siècle orné des statuettes de Sainte Christine, Saint Sébastien, Saint Jacques et Saint Nicolas. Le tableau représentant Sainte Christine est signé de Marzocchi de Bellucci (2) (1844).
2 Tito Mazzocchi de Bellucci est un peintre italien (1801-1871) installé à Paris depuis 1820 élève d’Horace Vernet.
Sainte Christine martyre :
Sainte Christine naquit à Tyr (3) en Italie (IIIe siècle). Ses parents étaient nobles. Instruite par le Saint Esprit elle refusait de sacrifier aux dieux et brisa les idoles d’or et d’argent de ses parents et les donna aux pauvres. Son père Urbain la fit dépouiller de ses vêtements et fouetter par 12 hommes jusqu’à ce qu’ils soient épuisés eux-mêmes. Ensuite il la fit charger de chaînes et la jeta en prison. Sa mère essaya de la faire changer d’avis en vain.
Son père ordonna ensuite que sa chair fut raclée avec des peignes et que ses membres fussent disloqués. Il la fit placer sur une roue sous laquelle il fit allumer un feu avec de l’huile. Il la remit en prison et ordonna qu’on lui attache une pierre énorme autour du cou et la jeter dans la mer. Elle fut sauvée par les anges et Jésus Christ vint la baptiser.
Elle fut remise en prison afin d’être décapitée le lendemain. Or cette nuit-là son père mourut. Il eut pour successeur Elius (aussi appelé Idion) qui fit préparer une chaudière dans laquelle on mit bouillir de l’huile. Le juge irrité lui fit raser la tête et la mena à travers la ville jusqu’au temple d’Apollon. Christine demanda à l’idole de tomber et elle fut ainsi réduite en poussière. De peur, le juge en perdit la raison. Julien qui lui succéda la fit placer dans une fournaise où elle resta intacte pendant 5 jours, puis il la fit jeter aux serpents mais ceux-ci lui léchèrent les pieds. Les serpents se retournèrent sur Julien et le tuèrent mais Christine le fit ressusciter. Alors, il lui fit enlever les mamelles et couper la langue. Puis Julien lui envoya 2 flèches au cœur et elle rendit l’âme en l’an 287 sous Dioclétien. Son corps repose dans un château que l’on appelle Bolsène (près de Viterbe). Sa fête est le 24 juillet (4).
Lors de la fête de Sainte Christine, il perdure à Ferrières une tradition qui désigne, pour un an, une jeune femme gardienne du « bâton de Sainte Christine ». Cette fête donne lieu à une procession de la statue reliquaire.
Protectrice des enfants elle est aussi invoquée contre les morsures de serpents.
3 Ville de Toscane engloutie dans le lac Bolsène – 4 La légende dorée de Jacques de Voragine
Dans un angle du chœur près du reliquaire : le tronc pour les offrandes.
Le décor intérieur :
Les fresques
Elles datent du XVIe siècle mais ont été repeintes à la fin du XVIIIe siècle par Charles Tabarie (1781). Les experts sont unanimes pour regretter cette restauration qui a gâté les vastes compositions en les repeignant.
On est en présence de deux thèmes :
➢ Le cycle de la vie de Sainte Christine :
Ce cycle court sur les deux murs latéraux en 32 tableaux. L’histoire de la vie de la sainte est représentée en registres et les scènes sont numérotées.
➢ Le dict des trois morts et des trois vifs :
Ce sont deux grandes fresques qui décorent le retour de la nef avant le porche de la tour clocher.
Le thème de ces fresques se réfère à une légende où trois cadavres «montrent » le devenir des corps à trois jeunes cavaliers. Les nombreuses fresques qui illustrent en France ce « dict (ou dit) des trois morts et des trois vifs » datent en général du XVe s. Puis la représentation des morts subit de sérieuses variations comme ici, où les morts qui étaient bien pacifiques deviennent agressifs et menacent les vivants. Dépouillés de tout vêtement, ils brandissent les instruments du fossoyeur (piques et pelles).
La morale est la même :
« vous serez ce que nous sommes, d’avance mirez-vous en nous, puissance, honneur, richesse, ne sont rien à l’heure de la mort il n’y a que les œuvres pieuses qui comptent »
La statuaire
Le décor sculpté
Sur les murs sud et nord, deux niches ont été creusées et surmontées d’une jolie arcature de style gothique flamboyant…
détail de la niche sud
chemin de croix
tandis que les stations du chemin de croix, en pierre, datent du XXe siècle.
Les fonts baptismaux
De forme octogonale, ils sont situés à l’entrée de la nef et datent du XVIe siècle (pierre taillée).
Détail des sculptures
On remarque la délicatesse des rinceaux sculptés qui ceinturent le bassin et reprennent les motifs de chardon, vigne et de houblon.
La poutre de gloire
Elle est située entre la nef et le chœur, entre les fidèles et le prêtre et représente la crucifixion. Le christ sur la croix est entouré de Marie et Saint Jean ainsi que des deux larrons. Elle porte sur sa partie horizontale une alternance de candélabres et de petites arcatures dans le style de la première renaissance. Datée du XVIe siècle, elle est en bois polychrome.
Les vitraux
En France : Le culte de Sainte Christine, bien que largement répandu, n’a doté que peu d’églises en France. On peut citer :
➢ VALLE DI CAMPOLORO (Haute Corse) : chapelle du XVe siècle décorée de fresques
➢ PAREPOGGIO (Parapoghju) à ARBORI (Corse du Sud) : 3e quart XIXe siècle
➢ VILLIERS-SAINT-ORIEN (Eure et Loir) : église du XIIIeI siècle fortement remanié
➢ PLOUGASTEL (Finistère) : chapelle Sainte-Christine construite en 1695
➢ LASSERADE (Gers) : église
➢ SAINTE CHRISTINE commune de CHEMILLE EN ANJOU (Maine et Loire) : église du XIIe reconstruite au XIXe siècle
➢ VILLENEUVE SAINT DENIS (Seine et Marne) : église autrefois dédiée à Saint Denis XVIIIe siècle
➢ LABEUVRIERE (Pas de Calais) : église des XIIe, XIIIe, XVIe, XVIIIe siècles
➢ SAINTE CHRISTINE (Puy de Dôme) : église
➢ LAMANERE (Pyrénées Orientales) : chapelle romane du XIIe siècle
➢ CUERS et SOLLIES PONT (Var) : ces deux communes ont la particularité d’avoir chacune une chapelle dédiée à Sainte Christine, lesquelles sont séparées seulement de 60 à 80 cm. (XVIe et XIe siècles)
➢ SAINTE -CHRISTINE (Vendée) : église construite en 1873 lors de l’indépendance du hameau, commune maintenant réunie à BENET
➢Sainte-Christine de Ferrières-Haut-Clocher
Sources : n°10 de Lux in Nocte
Observatoire du patrimoine religieux
Ministère de la Culture : Base Mérimée – Base Palissy
La vie et l’art en Normandie les saints populaires du doyenné de Conches (Nouvelles de l’Eure n° 48 : juin 1973)
Gallica : Annuaire des cinq départements de la Normandie/publié par l’Association normande 1889 –
Compte rendu par M. Louis Regnier de l’excursion à Ferrières Haut Clocher
Archives départementales de l’Eure ; Cercle généalogique de l’Eure